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Ana Ros: « La cuisine alpine existe et n’a jamais été revendiquée »

David Salvador

 

Ana Ros, la prodige du ski alpin diplômée en diplomatie est l’une des grandes dames de la gastronomie mondiale actuelle. 

Sans avoir étudié la cuisine, elle est venue rejoindre la trattoria de la famille de son fiancé pour la révolutionner et faire de son établissement le champion de la haute gastronomie locale.

Avec ses deux étoiles au guide Michelin, Hisa Franko se hisse désormais au 21ème rang de la liste des 50 Best Retaurants et Ros vole très haut - comme les montagnes qui l’entourent - sans pour autant renoncer à une manière de faire qu’elle a découverte après une visite à elBulli en 1999. 

Nous avons parlé avec elle pour mieux connaître son histoire, les problèmes pour s’établir au niveau où elle se trouve aujourd’hui et pour comprendre cette championne des montagnes puisque la slovène sera l’une des participantes d’Andorra Taste. Elle se déplacera jusqu’à la Principauté pour nous parler de cuisine alpine, le concept avec lequel elle identifie la sienne. « Dans tous les territoires des Alpes ce sont la géographie et la climat qui commandent notre cuisine, et nos façons de cuisiner se ressemblent. Nous avons en commun avec certaines régions de Suisse, d’Italie, d’Autriche ou de France l’altitude et les conditions climatiques, et nous avons des produits semblables ». 

Comment une professionnelle de la diplomatie finit-elle par devenir l’une des meilleures chefs du monde ?

Avec motivation et discipline. Également animée par l’instinct de survie de notre activité en elle-même et par une manière de cuisiner différemment l’environnement pour toucher les gens. 

Vous êtes tombée amoureuse, vous avez arrêté votre carrière de diplomate, vous avez rejoint l’affaire familiale et vous êtes entrée peu à peu dans la cuisine. Quand s’est produit en vous ce déclic qui vous a fait dire : « On va faire du fine dining » ?

Le processus a été progressif, travaillé. Mais je peux quand même dire que tout s’est accéléré quand je suis allée manger à elBulli en 1999. C’était l’anniversaire de mon mari et j’ai voulu lui faire ce cadeau : vivre l’expérience de déjeuner là-bas. J’ai appelé pour réserver et on m’a dit que le restaurant était plein et qu’il y avait une liste d’attente de trois mois. Incroyable. Nous étions en 1999, je n’avais pas encore commencé à cuisiner mais il m’a semblé incroyable qu’un restaurant à moitié perdu dans la campagne, loin d’une grande ville, ait une liste d’attente. J’ai rappelé pour insister. Ils m’ont demandé d’où je venais, je leur ai dit que j’étais de Slovénie et je ne sais pas comment j’ai réussi à avoir une table. Ils m’ont ensuite avoué que je leur avais plu parce qu’ils n’avaient encore jamais eu de clients slovènes. Nous avons mangé et pris beaucoup de plaisir, et de retour à la maison le regard que je portais sur les choses qui m’entouraient a changé. Il y a beaucoup à explorer dans mon environnement. J’ai vu que la cuisine pouvait s’exprimer d’une autre manière et j’ai commencé à visualiser ce que le restaurant pourrait devenir. Peu après j’ai commencé à me mettre à la cuisine pour concrétiser ce que j’avais imaginé.

Sans rien savoir de la cuisine...

Exact. Cela a été frustrant au début. J’avais beaucoup d’idées en tête après ce que j’avais vu et mangé à elBulli, mais je ne savais pas comment les concrétiser. Je me suis mise à la cuisine et j’ai appris peu à peu, en cuisinant, en lisant des livres, en goûtant... J’ai appris des cuisiniers qui étaient à Hisa Franko et je me suis appuyée sur mes souvenirs puisque dans ma famille la cuisine a toujours eu une place importante. Jour après jour, essai après essai, erreur après erreur, j’ai grandi et j’ai appris. Et je continue encore. Je n’ai pas suivi une ligne de cuisine particulière parce que je n’ai pas appris dans telle école ou dans telle autre. Je me suis laissée aller et j’ai intégré des choses de part et d’autre. Et je continue encore. Et je continue à créer beaucoup de plats à partir d’erreurs. C’est le lot de l’auto-apprentissage.

Comment définiriez-vous la cuisine d’Hisa Franko ? Y-a-t-il un style de cuisine Hisa Franko ?

La cuisine d’Hisa Franko est la folie d’Ana... Non, c’est la cuisine du respect de la terre, c’est l’utilisation d’ingrédients très locaux et de saison, c’est la créativité personnelle, ma manière de relier les goûts et les plats, de combiner par exemple le café avec les noix, le miel ou les pommes de terre. Le plat qui exprime le mieux ce qu’est ma cuisine dans le menu actuel est le chawanasumi. Par sa manière de combiner des saveurs extrêmes de la mer et de la terre. Il me plait beaucoup.

Il y a toujours de la truite dans votre menu, mais vous avez changé la manière de la cuisiner dans le menu actuel.

Quand on travaille avec des produits totalement locaux, il est inévitable de répéter certains ingrédients. Le répertoire d’ingrédients n’est pas très large et nous devons donc jouer de manière différente avec ce que nous avons : les artichauts, les pommes de terre, l’agneau, le bœuf ou les truites que nous affectionnons tout particulièrement. Avant nous la cuisinions avec la peau ; aujourd’hui nous la faisons sécher. Il me semble que de cette manière elle exprime mieux le goût de la rivière et de la nature. Si vous regardez mes plats d’il y a trois ans, vous verrez que ce sont les mêmes ingrédients mais aboutis d’une autre manière. Voilà, c’est cela la cuisine d’Hisa Franko. Je suis comme ça.

Vous changez également parce que vous voyagez plus ces dernières années...

Tout se tient. Je suis toujours moi-même mais il est évident que notre manière d’entrer en relation avec le monde nous transforme peu à peu. Et si je voyage j’aime bien goûter la cuisine locale, et je reviens avec des idées. D’où que ce soit. Comment je pourrais faire ça avec ma vision et mes produits ? Comment je pourrais renforcer le goût de ça ? Je goûte, je goûte et parfois j’arrive à un résultat.

Dans le menu actuel qui comporte presque 20 étapes, il n’y en a pas plus de cinq qui comportent du poisson et de la viande comme ingrédients principaux. Sont-ils moins présents aujourd’hui ?

Oui. Nous cuisinons de plus en plus de légumes, mais nous ne sommes pas végétariens. Il est impossible pour nous de devenir végétariens puisque les gens de notre entourage mangent beaucoup de viande. C’est une région pauvre, et on mange ce qu’il y a. Au menu, dans ce que nous pourrions appeler le plat principal, l’Injera, nous n’utilisons que de la viande pour lier la sauce. Il est vrai que j’aime de plus en plus utiliser la viande et le poisson pour relever le goût plutôt que comme ingrédients principaux.

Fromage et vin. Les piliers d’Hisa Franko.

Ce ne sont rien d’autre que le reflet de notre terre. Autour du restaurant il y a beaucoup de vaches, de brebis et de chèvres ; nous les utilisons non pas pour leur viande mais pour leur lait. Il en a été ainsi pendant des années dans notre région, il était donc impensable pour nous de ne pas refléter cette réalité. C’est la même chose pour le vin. On produit des vins dans toute la Slovénie. Il y en a beaucoup et de très bons dans notre région qui s’est même spécialisée dans les vins orange et biodynamiques. On dirait que c’est une tendance mais ici cela a toujours été comme ça. Et c’est ce que montre ma cuisine.

Vous faites une cuisine slovène ? À l’endroit où vous vous trouvez, à cinq kilomètres de la frontière avec l’Italie, votre culture ne ressemble-t-elle pas plus à celle d’Udine (ville italienne à 40 km du restaurant) qu’à celle de Liublana (capitale de la Slovénie, à 120 km) ? 

Je ne fais pas de la cuisine slovène. Je cuisine ma terre et ses produits, ce qui me semble être mon devoir en tant que cheffe. Je suis une cheffe super locale. Et cuisiner local n’a rien à voir avec la géographie puisque les produits que je travaille peuvent être plus familiers pour les gens de Friuli (région italienne frontalière de la Slovénie) que pour ceux de Liubliana.

Je vous ai entendu dire qu’il existe une cuisine des Alpes...

Oui, je crois qu’il existe une cuisine alpine en tant que telle et qu’on ne l’a jamais mise en avant. Je n’ai pas beaucoup de produits en commun avec une grande partie de la Slovénie ; en revanche je travaille des produits semblables à ceux d’autres régions qui sont à la même altitude et qui forment les Alpes : la Suisse, l’Italie, l’Autriche, la France... Nous avons en commun avec ces régions l’altitude, les conditions climatiques, et nous avons des produits semblables. Ce ne sont pas les mêmes parce que nos Alpes sont plus près de la mer. Mais il y a entre nous des correspondances dans les goûts et les traditions.

Équipe. Vous avez déclaré que vous ne signez pas rapidement de contrat avec le personnel que vous embauchez parce qu’au début ils aiment la montagne mais qu’ils peuvent se fatiguer rapidement et ne pas s’adapter à la solitude et à la multitude de cultures...

Nous avons du personnel de 22 nationalités différentes. C’est amusant et enrichissant, mais ce n’est pas facile. Il y a des gens qui viennent et qui ont du mal à s’adapter à la vie dans un village, sans loisir et en pleine montagne, avec la nature de tous les côtés. C’est le paradis mais uniquement pour ceux qui savent apprécier la nature. Par ailleurs comme nous sommes isolés, l’équipe doit savoir vivre ensemble parce qu’ils n’auront pas l’occasion de connaître beaucoup d’autres personnes dans la journée. C’est pour cela que je veux dans mon équipe des personnes de ces caractéristiques, et surtout qu’elles soient humbles. C’est très bien d’être compétitif mais uniquement si c’est d’une manière positive et respectueuse envers les collègues et l’équipe. Je ne supporte pas l’arrogance.

 

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